De prime abord, on ne pense pas aux experts-comptables quand on parle de transition socio-écologique. En quoi la profession comptable vous semble-t-elle pourtant légitime sur ce sujet ?  

En tant qu’expert-comptable, nous sommes formés à mesurer la performance financière des entreprises : analyser les chiffres, faire des bilans et des prévisionnels à partir des recettes et des dépenses, identifier les bons indicateurs pour évaluer les résultats et la croissance… Les méthodologies, les modes de calcul et d’analyse sont exactement les mêmes pour mesurer la performance sociale, environnementale, de gouvernance, et d'ancrage territorial. Il s’agit juste d’être attentif à d’autres données : au lieu de regarder le chiffre d’affaires ou la trésorerie, on va regarder par exemple les émissions de gaz à effet de serre ou la quantité de déchets produits, l’indice de qualité de vie au travail, le taux de satisfaction des clients… 
Notre métier, c’est d’accompagner nos clients à être performants au mieux.  Je pense que compte tenu des enjeux environnementaux et sociétaux auxquels nous faisons face, la performance doit être considérée de façon globale. Pour les accompagner, nous intégrons les risques qui pèsent sur l’entreprise pour l’élaboration des résultats financiers. Ces risques peuvent être de différentes natures. 
Aujourd’hui, il s’agit également d’intégrer l’impact de l’entreprise sur son écosystème, à savoir la planète et les êtres vivants.

Quel est votre parcours ? Avez-vous fait une formation spécifique sur le développement durable ? 

Après une école de commerce, j’ai travaillé pendant près de 15 ans dans différents cabinets d’audit et de conseil, sur des missions très variées – expertise-comptable, audit légal, contrôle interne, audit de systèmes d’informations, évaluation d’entreprise, audit d’acquisition, évaluation de préjudices, élaboration de business plan… - , ce qui m’a permis d’avoir une vision transverse du fonctionnement des entreprises. En parallèle, je me questionnais beaucoup sur mon impact, sur le monde que j’avais envie de laisser à mes enfants. J’ai commencé à me demander comment concilier expertise-comptable et développement durable… 
Pour mieux appréhender le sujet du développement durable appliqué aux entreprises, je me suis formée, principalement à l’AFNOR. Ça m’a confortée dans l’idée que la RSE était un sujet profondément stratégique pour les organisations, nécessitant d’être intégré dans le modèle économique., 
Je continue de me former et de me documenter en permanence. La veille est très importante. Aujourd’hui, j’estime qu’il faut faire beaucoup de pédagogie pour permettre aux dirigeants de mieux comprendre les enjeux. Dès qu’ils ont intégré l’importance du sujet, ils le placent au niveau stratégique, c’est alors que nous pouvons développer des missions de natures diverses, des sujets de transformation.

Aujourd’hui, vous vous adressez uniquement à des clients déjà engagés dans la transition écologique ou pas seulement ?

Non pas seulement, et justement, je trouve très intéressant de pouvoir sensibiliser aux enjeux de la transition écologique des clients qui viennent me voir pour des missions d’expertise comptable plus traditionnelles. Certains s’imaginent des choses très compliquées, des process en plus, alors qu’en réalité bien souvent, ils appliquent déjà sans le savoir certains principes du développement durable.  Il s’agit parfois juste de regarder certains chiffres autrement pour en faire des leviers de performance intéressants.
Je travaille pour des organisations de tous types - des entreprises, des associations, des acteurs publics… - et de tous secteurs. Dans certains secteurs - l’agriculture, la mode, le bâtiment et le transport –, les enjeux de transformation sont considérables, il y a tant à faire !    

Concrètement, comment les aidez-vous à se transformer ? 

Chaque mission est différente, il n’y a pas de recettes toutes faites, et à la différence des missions de production comptable traditionnelles, on ne peut pas encore automatiser. C’est ça qui est passionnant ! 
Pour chaque client, il s’agit de se demander quels critères sont pertinents pour évaluer la performance sociale et environnementale : pour une entreprise de transport, il s’agit bien sûr de regarder le bilan carbone, les émissions de CO2… , mais pour un cabinet de conseil, on peut regarder ce qui est mis en place pour la qualité de vie au travail, la loyauté des pratiques…  On identifie les bons indicateurs, et surtout on réfléchit avec nos clients à ce qu’ils peuvent mettre en place pour les améliorer.  C’est vraiment du sur-mesure.
Je propose également des formations afin de permettre aux dirigeants de mieux comprendre les grands principes et les concepts de la RSE. Ma volonté est de développer un catalogue de « formation-action » pour permettre à chaque individu d’agir.

Expert-comptable, expert de la transition écologique : un métier d’avenir ?

Oui, je suis convaincue que la transition écologique est une opportunité de développement formidable pour la profession ! Une source d’innovation !
Il y a un besoin du côté de nos clients bien sûr. C’est aussi, pour les cabinets d’expertise comptable, l’occasion de faire leur propre transition, de revoir leurs pratiques pour mieux intégrer eux-mêmes les principes de la RSE. Beaucoup de cabinets ont déjà entamé cette mue, en étant notamment plus attentifs aux critères de bien-être et d’épanouissement des jeunes collaborateurs. Une stratégie gagnante pour tout le monde !